Par Simon Abkarian
Publié le 22/12/2021 à 18:11
Simon Abkarian, acteur, dramaturge et metteur en scène, revient sur la visite en Arménie, son pays d’origine dans lequel il se trouve actuellement, du candidat à l’élection présidentielle.
Éric Zemmour aurait-il inventé un nouveau concept politique ; le christiano-fascisme ? Quoi qu’il en soit il se projette désormais dans un destin national. Zemmour prêche la défiance. Penseurs renégats et chroniqueurs zélés, shootés à l’audimat lui tendent toutes leurs mains. Comme Trump, Zemmour s’invente et se construit de buzz en buzz. Il condamne la violence tout en la célébrant, assimile les zones de non droit à un champ de bataille, s’invente une guerre civile qui n’existe pas (je sais de quoi je parle, j’en ai vécu une). Car il le sait, c’est dans la mêlée guerrière que s’écrivent les grands destins.
Monsieur Zemmour est féru de symboles il en connaît la puissance et la nécessité, il veut à tout prix entrer dans le panthéon de l’Histoire et se mirer éternellement dans le miroir du temps. Il souhaite figurer dans le mythe, se pose en homme providentiel et rêve de côtoyer l’immortalité en sauvant les chrétiens de France et au passage ceux d’orient. Quel meilleur endroit que l’Arménie pour lancer sa campagne mortifère ? Dieu sait si l’Arménie a besoin d’être aidée, protégée, visitée, vue et écoutée. « Vainqueurs de Daesh à Kobané, les Kurdes ne méritent-ils pas un hommage et une reconnaissance ? Mais j’oubliais, ils ne sont pas chrétiens, indignes donc d’une quelconque confiance ou gratitude. »
Mais Zemmour, lui, vient tremper sa bannière immaculée dans un sang printanier qui n’est pas le sien, un sang qui n’est pas encore sec, un sang qui réclame réparation et justice. Il vient faire main basse sur un courage qui le dépasse et se réclame d’une Arménie dont la combativité remonte bien au-delà de sa foi chrétienne. Pourquoi l’Arménie ? Pourquoi pas les Kurdes ? Vainqueurs de Daesh à Kobané, ne méritent-ils pas un hommage et une reconnaissance ? Les Kurdes tant loués puis lâchement abandonnés ne sont-ils pas eux aussi les remparts de notre utopie collective qu’est la démocratie ? Et ne méritent-ils pas la gratitude de l’Occident tout entier ? Mais j’oubliais, ils ne sont pas Chrétiens, indignes donc d’une quelconque confiance ou gratitude.
Pendant la guerre des 44 jours qui ravagea l’Artsakh, la Géorgie pourtant chrétienne, bloqua ses frontières, et laissa passer au compte-gouttes les vivres et les médicaments destinés à l’Arménie agressée. L’Iran musulman est un des rares pays de la région qui commerce avec l’Arménie enclavée depuis trente ans et, de ce fait, lui permet de respirer. Et la Russie que fait-elle ? Lénine athée comme Mustafa Kemal lui concéda Kars et le mont Ararat en 1921. En 2021 Poutine l’orthodoxe ménage Erdogan le musulman et ferme les yeux sur ses rêves hégémoniques en le laissant turquifier l’Artsakh.
Un court instant les Arméniens ont vraiment cru que Russie la chrétienne volerait à son aide. La naïveté entraîna l’espoir vers sa propre chute. Nous verrons ce que nous réserve la campagne d’Ukraine. Erdogan rêve de régler définitivement la question arménienne, tout en reliant les hydrocarbures azéris de la Caspienne à ses terminaux de la mer noire. « Zemmour dit nous comprendre et voudrait faire de la souffrance de l’Arménie une marche pied pour atteindre non pas les cœurs meurtris des Franco-Arméniens mais les votes des catholiques de France, enfin ce qu’il en reste. »
Certes, les Arméniens sont les antiques témoins qui contredisent le mythe turc dans sa fondation même. Mais Turcs et Azéris ne détruisent pas nos églises non parce qu’elles sont les symboles suprêmes de notre foi chrétienne, mais parce qu’elles sont les preuves irréfutables de notre présence qui est bien antérieure à la leur, en Anatolie comme dans le Caucase.
Le tour des Kurdes est là, celui des Grecs suivra. Zemmour dont l’ami n’est autre que l’avocat maître Pardo, ardent défenseur des intérêts turcs, arrive après la bataille et nous dit : « Je vous comprends, nous sommes pareils vous et nous. » C’est une blague, une parodie de compassion, un faux-semblant. Comme Le Drian, il est un ami de circonstance et s’il est élu, il continuera de faire affaire avec Erdogan et son vassal Aliev.
Il dit nous comprendre et voudrait faire de la souffrance de l’Arménie une marche pied pour atteindre non pas les cœurs meurtris des Franco-Arméniens mais les votes des catholiques de France, enfin ce qu’il en reste. Il parle de nous comme d’un peuple antique mais ne nous connaît pas.
N’est pas Anatole France qui veut. Notre écriture est d’une autre essence, il ne saurait la lire. N’est pas Victor Hugo qui veut. Notre eau est d’une autre source, il ne saurait la boire. N’est pas Jean Jaurès qui veut. Notre souffle est d’un autre Jadis, il ne saurait le prendre. N’est pas Georges Clemenceau qui veut. Notre deuil est d’une autre lutte, il ne saurait le porter. N’est pas juste qui veut. Retournez à votre campagne monsieur, à votre ambition, à votre obsession raciale. L’histoire des Arméniens est bien plus grande que nous, notre combat bien plus sacré que votre carrière.
Par Simon Abkarian